Un entretien avec Marwan Barghouti
Dirigeant du Fatah en détention en Israël
Bitterlemons : Le « Document des prisonniers
» est une initiative lancée
par des représentants de tous les
groupes palestiniens dans les prisons israéliennes.
Comment ça s’est passé ?
Marwan Barghouti : Le document a
été conçu comme une réponse aux
signes préoccupants de tensions internes
constatés sur la scène palestinienne. Il
provient de la profonde inquiétude que
la situation ne soit plus contrôlable. Et
aussi de la préoccupation qu’entraîne
le resserrement de l’étau sur les Palestiniens.
L’idée était de produire un document
qui pouvait constituer un dénominateur
commun pour toutes les forces politiques
; une tâche difficile dans le contexte
palestinien parce que la majorité de ces
forces s’arc-boutent sur leurs programmes
et n’ont pas l’habitude d’un programme
commun. Nous avons pensé qu’il était
grand temps de trouver une stratégie
palestinienne conjointe. Il a fallu des
semaines de discussions avant que nous
nous accordions sur cette initiative et
sur sa forme actuelle.
Nous pensons que ce document est historique
et qu’il nous aidera tous, s’il est
adopté, à unifier nos programmes et nos
discours politiques et à repousser le
spectre de la guerre civile qui menace
notre peuple. Nous espérons aussi ouvrir
une brèche dans le dispositif d’oppression
qui nous fait souffrir.
Bitterlemons : On a beaucoup parlé du fait que
ce document appelle à l’établissement d’un
Etat palestinien sur les frontières de 1967,
que c’est une reconnaissance implicite d’Israël
et que c’est pour cela que le Hamas s’y oppose.
Est-ce ainsi qu’il faut le comprendre ?
M.B. : Les forces palestiniennes, depuis
de nombreuses années, mais surtout
depuis que l’Intifada al-Aqsa a éclaté,
sont toutes d’avis que le but du peuple
palestinien est d’établir un Etat palestinien
pleinement souverain sur tous les
territoires occupés par Israël en 1967.
La reconnaissance entre l’OLP et Israël
a eu lieu il y a treize ans et ce document
n’en traite pas.
Les directions du Hamas et du Jihad islamique
en prison ont participé effectivement
à l’élaboration du document. Elles
l’ont signé et continuent à le soutenir
malgré l’opposition de certains dirigeants
du Hamas et du Jihad islamique à l’extérieur.
Je pense que cette opposition est
hâtive et qu’ils n’y ont pas porté toute
l’attention requise.
Une lecture attentive montre en effet
clairement que c’est un document de
constantes nationales, d’unité nationale
et de partenariat politique. Il y est question
de dénominateurs communs ; il ne
s’agit pas de promouvoir les positions
d’un parti quelconque. Ce n’est pas le
programme sur lequel le président Mahmoud
Abbas a été élu et ce n’est pas
non plus celui du Hamas. C’est un programme
unifié et un projet stratégique
pour nous tous. Toutes les parties doivent
apprendre à coopérer, à la lumière
de leurs différents programmes, mais
elles doivent le faire dans le contexte d’un
projet stratégique et d’une vision unifiés.
Je suis persuadé que les directions du Hamas et du Jihad islamique
finiront par accepter ce document.
Bitterlemons : Mais les signataires du Hamas
et du Jihad ont retiré leur appui. Que s’estil
passé ?
M.B. : Les directions du Hamas et du
Jihad islamique dans les prisons ont participé
effectivement à ce document et
nous sommes en contact quotidien,
constant, permanent. Dans la prison de
Hadarim se trouvent plusieurs dirigeants
des diverses forces palestiniennes et
nous sommes aussi en contact et consultation
continus avec des dirigeants dans
d’autres prisons. Ce dialogue et cette
consultation continus ont rendu plus
facile l’élaboration de ce texte parce que
nous nous comprenons et que nous
avons une confiance réciproque totale.
Nous sommes rassemblés dans les tranchées
du combat et de la résistance. Ce
n’est pas un débat frivole, byzantin. C’est
un dialogue responsable. Les dirigeants
du Hamas et du Jihad islamique qui ont
signé le document sont des symboles
bien connus de notre lutte. Ils ont refusé
le référendum mais ils adhèrent toujours
au document.
Bitterlemons : Est ce que les prisonniers
s’attendaient à ce que le document prenne cette
importance ?
M.B. : Les prisonniers espéraient que
le document serait bien accueilli et rencontrerait
un réel soutien mais celui
obtenu dépasse toutes leurs espérances.
Bitterlemons : Approuvez-vous la décision
du président Mahmoud Abbas, Abou Mazen,
de soumettre le document à un référendum
populaire, sans tenir compte de la position
du Hamas et du gouvernement palestinien ?
M.B. : Le document
est conçu pour
amener à la conciliation.
Nous l’avons
appelé le Document
de Conciliation
Nationale et on arrive
à la conciliation par
le dialogue, qui
devrait être à la base
de son adoption.
Nous pensons que
la conférence de dialogue
national a eu
raison de le faire. De
plus, la décision du
président Abou
Mazen de soutenir
le document a été
très appréciée par
les détenus dans
toutes les prisons,
qui ont salué cette
position de principe.
Nous pensons qu’il reste une bonne
chance qu’on parvienne à un accord sur
le document par le dialogue, ce qui est
notre priorité à tous.
Bitterlemons : Certains groupes, y compris
le Hamas et le FPLP, disent que tout référendum
devrait inclure tous les Palestiniens,
même ceux qui sont hors de Palestine. Etes
vous d’accord ?
M.B. : C’est ce que nous avons toujours
demandé. En fait, il est mentionné
dans l’une des clauses du document
que toutes les décisions cruciales doivent
se prendre avec la participation de
tout notre peuple, dans
la patrie ou en exil.
Bitterlemons : Le document
devait entraîner la
réconciliation nationale
mais il semble avoir semé
encore plus de discorde.
Qu’en pensez-vous ?
Comment les Palestiniens
peuvent-ils éviter de nouvelles
divisions ?
M.B. : Ce document
peut enclencher un processus
palestinien
d’unification. Il peut activer
des institutions unifiées
pour protéger
l’expérience démocratique,
consolider l’état
de droit et offrir des
solutions à des problèmes
stratégiques
importants. Le document
ouvre la porte à la résolution de
problèmes dans les institutions de l’OLP
et il permet au Hamas et au Jihad de
rejoindre l’OLP, sur la base de sa reconnaissance
comme seule représentante
légitime de notre peuple où qu’il soit.
Renforcer et restructurer l’OLP est une
nécessité nationale. Ce document ouvre
aussi la porte à la formation d’un gouvernement
d’union nationale.